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09 octobre

« Ceci n’est pas Thiriez »

C’est passé presqu’inaperçu dans une actualité bien chargée : la ministre de la fonction publique a donné une interview au Monde, où, dans la droite ligne du « rapport Thiriez » (que nous avions déchiqueté en son temps comme il le méritait : Cf. les tribunes « La fonctionnarisation est en marche », et, « Entres autres l’ENA, et ‘en même temps’…l’ENM » ?), elle assimile, dans le fourre-tout de la « haute fonction publique », « ENA, directeurs d’hôpital, administrateurs territoriaux, commissaires, magistrats, attachés d’administration » (on notera, dans ce qui apparaît d’évidence, être là, pour elle, un ordre hiérarchique décroissant, la place qu’elle réserve à la magistrature !) ; en affirmant son intention, « dès 2021 », au moins à titre « expérimental », de créer, pour l’accès à ces corps de « hauts fonctionnaires » (sic), une nouvelle voie « pour les candidats issus des milieux modestes » -mais, attentions, a-t-elle l’humour ou les cynisme, de dire, « il ne s’agit pas de discrimination positive », et, on ne reprend pas tout le « rapport Thiriez » (la preuve ? L’ENA ne devrait pas changer de nom, et, le classement de sortie sera maintenu : voilà des corps qui, eux, savent se défendre et bloquer les lubies du moment…) : on pense au célèbre tableau de Magritte, représentant une superbe bouffarde « Ceci n’est pas une pipe »… Motif : le manque de « diversité sociale » dans ce que M. Macron juge être des « castes » -et, de citer… la proportion de fils d’ouvriers à l’ENA !

              Sans s’attarder sur ce discours authentiquement « populiste », propre à attiser ces « passions tristes » de la haine sociale et de l’envie –d’autant plus indécent quand il est tenu par des représentants emblématiques de la « reproduction des élites »-, il faudrait qu’un ministre de la justice rappelât à sa jeune collègue, issue du privé, que :

                   1°) La Constitution distingue radicalement les agents de l’ « Administration », qui dépendent du Gouvernement », et, l’ « autorité judiciaire », représentée par des magistrats, avec un statut fixé par loi organique : ils sont donc expressément exclus du champ du statut des « fonctionnaires » ; ce n’est pas là que simple sémantique : c’est l’expression d’un ordre juridique fondamental qui découle tout simplement de la séparation des pouvoirs –mais peut-être qu’on n’apprend pas ces subtilités à H.E.C. et qu’on en est très loin à Harvard ?...

                   2°) Il y a, au Gouvernement, un ministre chargé de la Justice, et, c’est, évidemment, à lui que revient la responsabilité des textes concernant les magistrats ; donc, de deux choses l’une, ou bien Me Dupond-Moretti a validé ces propos et projets préalablement –et, c’est, alors, une nouvelle et éclatante manifestation de son mépris et de son hostilité pour le corps judiciaire ; ou bien, ce n’est pas le cas –et cela pose, alors, un problème de solidarité gouvernementale, et, simplement, de cohérence du travail et d’autorité au sein de l’équipe de M. Castex. On est, évidemment, tenter de privilégier la première hypothèse, dans le droit fil de la personnalité et des antécédents de l’actuel garde des sceaux, avec, de plus, la nomination –de combat-, d’une consoeur à la tête de l’ENM ; mais, les choses doivent être rapidement clarifiées.

                          3°) S’il faut tomber dans ce très mauvais débat de la « diversité sociale », pour ce qui est de la Magistrature, tous les éléments sont disponibles pour démonter –sans avoir besoin de faire appel au moindre ténor du Barreau !-, cet absurde procès : il n’est que de constater, dans les textes et dans les faits, la très large ouverture du corps à des modes de recrutement très diversifiés, à côté du concours étudiant, et, pour ce dernier, au large éventail d’origines sociales et ethniques, au sein des promotions de l’Ecole ; le ministre pourrait gracieusement fournir à sa collègue toutes les informations utiles à cet égard.

       Créer une voie authentiquement discriminatoire (en fonction des quartiers de résidence ? des couleurs de peau ? du faciès ? de la déclaration de revenus des parents ou de son absence ?...) serait donc scandaleux autant qu’inutile en l’espèce ; outre qu’elle ne manquerait pas, inévitablement, de faire figure, de recrutement « au rabais »…

Mais, on ne se fait aucune illusion : « qui veut noyer son chien… » : on est là en présence d’une posture purement politique, qui se moque de la réalité des faits et qui s’inscrit dans une stratégie de « bouc émissaire »

Dans le contexte de rejet de la personne de l’actuel garde des sceaux, jeter de l’huile sur le feu doit, il faut le supposer, apparaître, au Gouvernement comme le comble de l’intelligence politique…

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