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ELOGE (PEUT-ETRE BIENTOT FUNEBRE…) DES PEINES « PLANCHER »

C'est la loi du genre. Lors des alternances politiques, les vainqueurs abrogent les lois votées par les vaincus, surtout si elles étaient emblématiques.

Donc, très logiquement, Madame Taubira avait, rapidement, annoncé la prochaine abrogation des peines « plancher », dont Nicolas Sarkozy avait fait le symbole de sa détermination à lutter contre la récidive.

Elle se fait certes toujours attendre, au grand dam de certains de ses « amis » politiques (et, l’on a pu voir récemment à la télévision, Me Thierry LEVY -qui n’a pas à se forcer pour avoir l’air d’un procureur requérant la guillotine-, la blâmer avec force trémolos de n’avoir encore rien fait dans le domaine pénal et pénitentiaire…), mais, nul doute qu’elle rame autant que possible pour faire respecter cet engagement électoral du président Hollande.

Dont acte, puisque c'est le jeu, et que le gouvernement, s’il s’y risque finalement, dispose d'une majorité largement suffisante pour y parvenir.

Dans l’attente, il n'est pas interdit de s'interroger sur les mérites réels de ces dispositions ainsi promises au rebut.

Disons le tout de suite, l’auteur de ces lignes –qui n’en dira pas plus pour respecter son obligation de réserve d’anonyme « petit pois » judiciaire enterré dans son obscur tribunal de province profonde-, n'avait aucune sympathie pour les manières de l'ancien locataire de l'Elysée…

Après la sanction des urnes, il lui sera maintenant possible d’émettre un jugement plus serein à cet égard.

A leur passif, leur principal défaut, pour ne pas dire leur péché originel, ce qui les condamnait par avance en cas d'alternance, c'est très évidement d'avoir été pensées et voulues par Nicolas Sarkozy.

Et selon son propre discours, d'avoir été pensées et voulues moins comme un outil de lutte contre la récidive mis à la disposition des magistrats pénalistes que comme une arme de mise au pas des magistrats.

Garant pendant son mandat de l'indépendance de la magistrature, Nicolas Sarkozy, manifestement, n'aimait pas beaucoup les magistrats.

Les peines plancher ont donc été vendues au bon peuple comme le moyen d'en finir avec le laxisme des juges, dénoncés comme responsables de la délinquance et de la récidive, quand ils n'étaient pas menacés de devoir « payer » lorsqu'un délinquant récidivait.

C'était simple et brutal, et cela a indigné le corps judiciaire, qui majoritairement se réjouit donc maintenant de cette éventuelle abrogation, qui sonne comme une juste revanche, et qui permet au passage au gouvernement de s'attirer sans frais la sympathie de la quasi totalité de la magistrature, sans parler de celle du barreau.

Certes, il aurait été plus intelligent de présenter cette réforme pour ce qu'elle a en définitive été, c'est à dire un outil de prévention de la récidive et d'individualisation de la sanction qui s'articulait avec les dispositions élargissant les possibilités d'aménagement des peines.

Mais l'argument de vente utilisé avait été bien différent : des peines plancher pour combattre le laxisme des juges en partie responsables de la récidive.

Simple et brutal, était-ce pour autant, tout à fait faux ?

Car soyons vraiment honnêtes, ou à tout le moins, essayons de l'être.

Il y avait quand même une grande part de vérité dans cette accusation de laxisme.

Certes, pas à tous les niveaux de délinquance. Il est vrai qu'en trente ans, la répression des atteintes sexuelles et de la délinquance routière s'est considérablement accrue.

Mais on ne peut pas en dire autant de la répression des atteintes aux biens, et encore moins de celle des trafics de stupéfiants.

Les hasards des changements de fonction font que l’auteur de ces lignes qui était familier de la matière pénale, en a été éloigné pendant quinze ans, avant d'y revenir.

Autant le dire, ce n'est pas seulement un changement de siècle qui a eu lieu au gré de ce temps, c'est un changement d'univers.

Ce qui était autrefois impensable pour un délinquant, à savoir plusieurs pages de casier pour des faits de vols et de violences, sans que jamais cela ne se traduise par une mise en détention est désormais monnaie courante.

Interrogé à l'audience sur son passé judiciaire chargé, le prévenu répond fréquemment qu'il n'a jamais été en prison. Dans ces conditions, le passage en jugement n'a qu'un intérêt pédagogique relatif.

Il est courant et habituel d'expliquer cette situation par le caractère inconstant du législateur, qui multiplie à l'égard des juges des injonctions contradictoires.

D'un côté, plus de lois répressives, de l'autre, toujours plus de possibilités d'aménagement des sanctions: jusqu'à deux ans de prison ferme, entièrement négociable avec le JAP.

Mais ce n'est pas un argument bien sérieux.

En réalité, le législateur ratisse large, et laisse au juge le soin d'individualiser la sanction et ses modalités. Certes pour des raisons politiciennes et électorales, le législateur a souvent un discours très univoque, soit répressif, soit permissif, mais la seule réalité, c'est le corpus législatif qu'il met à la disposition des juges.

Vouloir s'appuyer sur le discours du politique pour justifier des décisions prises revient pour les juges à nier leur propre raison d'être.

De ce point de vue-là, force est de constater qu'il existe dans les tribunaux un discours ambiant, qui ne correspond peut-être pas à ce que pense majoritairement le corps judiciaire, mais qui est le seul qui se fasse entendre, selon lequel, comme en matière de détention provisoire, puisque la liberté est la règle, la détention est systématiquement l'exception.

Ce discours qui nie toute valeur pédagogique à la fermeté, justifie parfois les décisions les plus injustifiables.

La répression en matière de stupéfiants en est la caricature.

De fait, l'usage est dépénalisé. Ce dont les tenants de la légalisation tirent argument au motif que « trente ans de répression n'ont rien donné ». Alors qu'il faudrait plutôt dire « trente ans d'absence de répression n'ont rien donné »  (notons d'ailleurs que tant que l'usage est un délit même théorique, on peut encore procéder à la mise en garde à vue des usagers pour tenter de remonter les filières).

Quant au trafic de stupéfiants, lorsque l'état de récidive est avéré, les peines prononcées sont rarement suffisamment dissuasives, et le rapport qualité-prix de la sanction reste bien avantageux pour les trafiquants.  

Alors qu’en réalité, c'est bien toute la fonction du juge pénal que de dire à quel moment on doit sonner la fin de la récréation.

Mais il est vrai que ce n'est jamais une décision facile à prendre. Il est beaucoup plus satisfaisant et valorisant de prononcer une peine alternative à la détention, surtout quand on connait l'état des prisons.

Et d'ailleurs, cette tentation d'indulgence produit elle-même de graves effets pervers, et ne diminue en rien le problème de la surpopulation carcérale.

Au bout de plusieurs condamnations assorties de sursis, mises à l'épreuve, peines de substitution diverses, la sanction finit quand même par tomber, avec son cortège de révocations.

De sorte que contrairement à ce qui se passait autrefois, lorsque le délinquant entre en prison pour la première fois, c'est souvent pour une longue durée.

Dans ces conditions, la peine plancher est à notre sens très opportunément intervenue pour rappeler les juges à la réalité.

Et, osons aussi le reconnaître, pour les déculpabiliser en les « forçant » à prononcer de véritables sanctions.

Forçage tout à fait symbolique d'ailleurs, puisqu'il était toujours possible d'écarter la peine plancher à l'aide d'une motivation plus ou moins convaincante, ou en l'assortissant d'un sursis avec mise à l'épreuve pouvant être intégral.

On notera d'ailleurs que malgré ces possibilités, beaucoup de juridictions ont quand même aggravé la répression de la récidive en appliquant les peines plancher, qui ont donc au moins eu le mérite de faire sauter quelques inhibitions.

Ce qui prouve bien l'utilité de cette loi et son efficacité.

Et quand bien même la juridiction écartait-elle la peine plancher, le rappel de son existence et le risque de son prononcé avait-il pour effet de conférer à l'audience une tension et une densité, bref un enjeu, qui n'en faisait pas une simple formalité et lui rendait tout son sens.

Quoi qu'il en soit, la peine plancher, comme la jeune tarentine, aura peut-être bientôt vécu. Qu'elle repose alors en paix. Tout ce qu'il faut souhaiter, c'est que ceux qui l'ont appliquée s'en souviennent, ce qui les incitera peut-être, en cas de récidive, à se rappeler que la peine encourue est doublée, et que cela ne signifie pas qu'elle doit être moitié moindre que la dernière peine prononcée....