10 avril

DECHEANCE AU GRATTAGE, C.S.M. AU TIRAGE ?...

Alors que M. Hollande, tirant avec réalisme la leçon de quatre mois d’un débat –surréaliste-, au sujet de la déchéance de nationalité, venait expressément de clore le chapitre de la révision constitutionnelle -y compris sur le Conseil supérieur de la magistrature-, le Gouvernement et sa majorité ont, sans désemparer, remis la question à l’ordre du jour parlementaire : palinodie présidentielle, ou, cacophonie dans l’exécutif ?...

 

Quoiqu’il en soit, il importe à l’A.P.M. de mettre fermement en garde le Parlement à ce sujet, avant le vote qui doit intervenir prochainement à l’Assemblée nationale :

En opportunité :

Ce n’est, évidemment pas, à des magistrats de dire si, pour les députés qui se veulent « d’opposition », offrir ainsi sur un plateau une victoire morale à leurs adversaires, en leur permettant de compenser par un succès sur le C.S.M. leur reculade sur la déchéance de nationalité, est le comble de l’intelligence politique, et, si ce genre de complaisance est vraiment le comportement qu’attendent d’eux leurs électeurs…

                Mais, l’on est en droit de s’indigner devant une manœuvre grossière où, pour les promoteurs de cette « session de rattrapage » constitutionnel, le C.S.M. n’est rien d’autre que l’enjeu de visées partisanes dont la justice n’est qu’un prétexte : faut-il donc qu’ils la méprisent, et avec elle, ceux qui la rendent !

Sur le fond :

                1°) La question majeure n’est pas celle des conditions de nomination des magistrats du parquet (avis conforme ou non pour le ministre), mais, celle du mode de désignation des membres du C.S.M. : 

A l’heure actuelle, les magistrats membres du C.S.M., élus par leurs pairs, ne sont que les courroies de transmission des appareils syndicaux (dès l’institution de cette élection, le principal syndicat de magistrats, sans vergogne, avait même prévu dans ses statuts que ses représentants au C.S.M. seraient de droit membres de son organe dirigeant !) ; en sorte que ce qui est le plus à redouter, ce n’est pas le clientélisme politique, mais le clientélisme syndical (qui est, de plus, souvent, un clientélisme politisé –cf. le syndicat du « mur des cons »…).

                Aussi, en donnant au C.S.M. –c’est à dire aux syndicats (car, le fait d’être en minorité d’une seule voix par rapport aux non-magistrats ne change à peu rien en pratique…)-, la mainmise sur les nominations des parquetiers, après les magistrats du siège, on consacrerait un clientélisme syndical effréné, sans contrepoids ; alors que la grande majorité des magistrats ne sont adhérents d’aucun syndicat : c’est les exclure du jeu.

                De la part de responsables politiques ou de commentateurs médiatiques qui ne cessent de dénoncer ce qu’ils appellent le « gouvernement des juges » et s’indignent de la politisation de la justice, le soutien à ce projet serait très paradoxal : schizophrénie ? « Idiotie utile » ?...

                Cette question du mode de désignation des magistrats au C.S.M. est donc un préalable absolu, et, la réforme éventuelle de la nomination des magistrats du parquet n’en est pas séparable et ne peut être conduite de manière autonome : à cet égard, l’A.P.M., de longue date, avait proposé un mode de recrutement par tirage au sort (comme, en somme, pour les jurés populaires des cours d’assises), garantissant leur indépendance par rapport au pouvoir syndical.

                2°) La question du rapport entre le garde des sceaux et les parquets -posée, notamment, par la jurisprudence européenne-, doit être abordée d’un œil neuf :

                C’est, à cet égard, une exigence fondamentale de l’Etat de droit, et, une constante tradition républicaine, que le ministère public, avocat de la loi, partage l’unité et l’indivisibilité de la République : porteur de la parole de la loi devant les juges, le parquet doit pouvoir parler d’une même voix, car la loi est la même pour tous.

                Il est donc impératif que le ministère public ait une tête, un chef, qui lui donne l’impulsion et assure sa cohésion, et, veille à la cohérence dans la conduite de l’action publique sur l’ensemble du territoire (indépendamment des légitimes adaptations aux situations locales).

                La difficulté vient de ce qu’à l’heure actuelle, la Chancellerie, en pratique, joue très mal ce rôle : si elle fait remonter des montagnes d’information, qui embolisent les parquets, elle maîtrise très peu et très mal leur action –contrairement à des fantasmes qui ont la vie dure dans le monde politique et médiatique, qui reposent sur des idées reçues d’un autre temps…

                Aussi, en abandonnant le pouvoir de nomination aux coteries, clans, ou clientèles représentés au C.S.M., on ne pourra qu’aggraver la balkanisation actuelle de l’action publique, au mépris de garanties essentielles des citoyens,  et, de l’autorité de l’Etat.

                A cet égard, l’A.P.M., de longue date, avait proposé la création d’un procureur général central, national, chef effectif des procureurs généraux, et, interface avec le garde des sceaux : ainsi, i serait mis fin à l’ambiguïté actuelle –qui motive les critiques de la Cour européenne-, qui vient de ce qu’un responsable politique, membre de l’exécutif, est aussi le chef nominal des parquets, en même temps que serait assurée, dans des conditions plus efficaces et moins et moins exposées à la suspicion a priori de dévoiement partisan, l’animation du ministère public ; le Gouvernement, par le canal de ce chef des parquets, pourrait toujours faire connaître à l’autorité judiciaire les positions et attentes dont il est comptable devant les électeurs –c’est une question de légitimité démocratique-, sans que, pour autant, subsiste cette confusion des rôles qui est la source de la mise en question actuelle de la qualité de magistrat des membres du parquet par la Cour européenne.

                Aussi, c’est un pur sophisme, de la part du Gouvernement et de certains commentateurs, de présenter l’actuel projet de révision comme la réponse unique et nécessaire à la difficulté née de la Cour européenne : c’est un mauvais prétexte à une instrumentalisation de la Constitution, pour essayer d’avoir, « au tirage », la chance que l’on n’a pas eue « au grattage »…

Il ne faut donc pas que députés et sénateurs tombent dans ce piège à nigauds et prêtent la main à cette opération de sauvetage d’un débat constitutionnel, qui doit, comme s’y était engagé le Président de la République, être  maintenant définitivement clos !

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