19 octobre

DU GRAND DEFOULEMENT AU GRAND DEMANTELEMENT…

                C’est dans un parc d’attractions (!) que M. MACRON a lancé hier sa grande opération de communication politique préélectorale sur la Justice, dite pompeusement « Etats généraux de la Justice », annonçant, sur l’air du « ça ira, ça ira », la révolution dans l’institution –qu’il persiste, par dérision et mépris affiché à appeler « service public de la justice », en oubliant qu’il s’agit d’une autorité constitutionnelle (aurait-on idée de parler du « service public du gouvernement » ou du « service public du parlement » ?!…).

                Bien sûr, ce genre de « show » n’est pas nouveau et s’inscrit dans la ligne de précédents tout aussi empreints de boursoufflure sémantique, de « Chantiers de la Justice » en « Justice du 21e siècle » (tiens, on a -jusqu’à la prochaine fois ?-, oublié l’habituel et certes un peu usé « Grenelle »…), de Taubira en Belloubet, les magistrats peuvent avoir le regard blasé et ironique des vieilles troupes devant ce genre de gargouillis médiatiques…

                En fait, ce que les gens de justice, confrontés en permanence aux difficultés matérielles et à l’insuffisance criante des moyens, attendent d’abord, c’est moins des « Etats généraux » qu’un « Etat généreux » : mais, d’évidence, le « quoiqu’il en coûte », ce ne sera pas, cette fois encore, pour l’autorité judiciaire !    

                Pour autant, ce serait une erreur que d’y voir une simple opération de diversion, pour faire semblant de répondre à la lassitude et la colère du corps judiciaire et des autres acteurs de l’institution.

                Car, derrière les palabres qui vont s’engager pour amuser la galerie pendant quelques mois –le « grand défoulement », où chacun va y aller de l’expression de ses frustrations, dans le plus grand désordre et dans l’irréductible contradiction des rôles et intérêts-, une commission est mise en place pour, en toute discrétion derrière le rideau, faire le vrai travail et apporter au Président -flanqué de son mis en examen préféré-, sur un plateau, la caution pour un « grand démantèlement ».

                Il est clair que la feuille de route de cette commission censée être « indépendante » (on est prié de ne pas rire!), présidée par un ancien conseiller de Badinter, et, idéologiquement presque monocolore -avec la pincée d’alibis de rigueur pour donner l’illusion du pluralisme-, et, où les magistrats, archi-minoritaires, ne feront que de la figuration –en la personne des seuls deux chefs de la Cour de Cassation, qui avaient imprudemment tendu cette perche au Président, véritables arroseurs arrosés…-, est déjà écrite –et, d’ailleurs annoncée publiquement par le chef de l’Etat-, et que les conclusions des travaux qu’elle va mener dans l’ombre peuvent en être connues d’avance : ce sont tous les serpents de mer les plus éculés que, depuis des années, élèvent ceux qui rêvent de rabattre et soumettre l’autorité judiciaire ; soit, entre autres :

                               - La fonctionnarisation du parquet, en retirant aux membres du ministère public leur qualité de magistrats, cette spécificité française qui fait toute la supériorité de notre système judiciaire sur ceux qui confient cet acte capital qu’est la poursuite à la seule police ou à des accusateurs aux ordres de la puissance publique –formidable régression pour la garantie de l’impartialité et la protection de la présomption d’innocence !.

                               - La suppression du juge d’instruction et la mise en place d’une procédure à l’anglo-saxonne –nirvana des avocats (et, surtout, ceux des riches et puissants…)-, dont ses plus enthousiastes soutiens s’étaient pourtant mis en sourdine ces dernières années depuis quelques affaires qui en avaient mis en lumière les vices majeurs… Mais, le juge d’instruction, malgré tous les coups de boutoir portés contre lui sous la pression du lobby des avocats, reste un bastion d’indépendance et c’est cela qui est insupportable pour ses contempteurs…

                               - La suppression de la Cour de justice de la République, pourtant instituée par les politiques pour juger des politiques, mais qui a eu le tort de… faire simplement le travail pour lequel elle avait été créée ! Et, avec ce cynisme brutal –les thuriféraires disent « disruptif »-, qui le caractérise, M. Macron d’avouer qu’il s’agit d’empêcher tout simplement qu’un juge vienne asticoter un ministre en exercice (un avocat imprudemment nommé garde des sceaux, par exemple ?...) –bref, en marche vers l’immunité ministérielle ! (la demi-douzaine de membres du gouvernement qui ont dû quitter leur poste depuis quatre ans pour cause de tintement de « casseroles » applaudiront à tout rompre…).

                               - La possibilité d’une remise en cause de la décision d’un juge en dehors de l’exercice des voies de recours, par la mise en jeu de la responsabilité personnelle de celui ou ceux qui ont rendu la décision (y compris les jurés d’assises, qui sont les décideurs majoritaires obligés dans les décisions pénales les plus lourdes ?... : ce serait logique) : sempiternelle « tarte à la crème », qui, bien entendu, fait facilement l’unanimité contre la magistrature, à coups de sophismes simplistes de la plus grossière démagogie ignorant l’abécédaire élémentaire de l’Etat de droit… Ce serait, évidemment, le pire coup porté contre l’indépendance de la Justice, avec, pour chaque juridiction, cette épée de Damoclès que pourrait brandir une partie au-dessus d’elle, comme un chantage et une pression morale… Inacceptable et inconcevable régression démocratique (dont on se demande, avec curiosité, ce qu’en diraient des autorités européennes si promptes aujourd’hui, à fustiger la Pologne sur ce terrain avec le plein soutien des dirigeants français…). Toute sa carrière Me Dupont-Moretti en a sans doute rêvé, réduit à ne pouvoir instruire les procès à ses juges que devant micros et caméras : on imagine sa jouissance à le réaliser.

                Le télescopage du rendu du rapport de cette commission avec les échéances électorales majeures de l’an prochain ne doit pas abuser : outre que M. Macron compte bien, d’évidence, être réélu (et qu’il pourrait même, dans ce cas, conserver son ministre de la justice…), ce document servira de caution à toute entreprise future de mise en œuvre de ses conclusions, d’où qu’elle vienne..

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