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24 avril

A PROPOS DU « MAMMOUTH » LEGISLATIF DE MME BELLOUBET

Le « mammouth » législatif présenté le 20 avril par la garde des sceaux appelle les brefs commentaires suivants, pour aller à l’essentiel, en passant sur l’ « emballage » médiatique, avec ses formules ronflantes –c’est la loi du genre-, qui feront, comme d’habitude, avec le recul et à l’aune des résultats effectifs, sourire ceux qui ont déjà vu tant de ses prédécesseurs annoncer le « grand soir » et la « réforme du siècle » pour la justice…

Sur la méthode : il y a tout à craindre du débat parlementaire sur un tel texte fleuve. Ne serait-ce, d’abord, que par sa taille, avec un « fatras » de dispositions diverses et sans lien, qui ne peut que favoriser les « bugs » rédactionnels au fil d’interminables et lassantes discussions dont personne ne maîtrise plus vraiment la technicité, comme on ne l’a déjà vu que trop souvent en pareil cas. Et, surtout, parce que, amateurisme, démagogie, souci de la posture et porosité aux groupes de pression aidant (à commencer par le puissant lobby du Barreau, à qui Mme Belloubet a déjà fait de considérables et inacceptables concessions dans l’espoir de l’amadouer -en pure perte au demeurant, puisqu’il juge que ce n’est pas encore assez !), on risque tous les dérapages et surenchères, avec l’introduction de dispositions sans cohérence avec le reste du projet, n’ayant fait l’objet d’aucune concertation avec les professionnels et ignorant les réalités du terrain.

Sur le fond : le programme comporte, à côté de mesures techniques assez consensuelles, ou, de certaines dispositions qui, dans le principe n’appellent pas d’objections majeures, quand bien même leur mise en œuvre peut faire question, d’autres qui sont très critiquables.

1°) La procédure civile :

                Le « développement des modes de règlement amiable des différends » est une véritable « tarte à la crème » : personne ne peut être contre, mais, c’est faire fi de la plus élémentaire réalité, humaine et pratique, que d’y voir une solution passe-partout : bien des contentieux, même de modeste enjeu financier, sont, d’emblée, trop « cristallisés » pour y être si peu que ce soit accessibles ! C’est donc une absurdité que de vouloir imposer un tel préalable à toute procédure en justice pour une fraction du contentieux, avec, en outre, le risque de surenchère parlementaire –doublé d’un scandale, car c’est enrichir avocats ou professionnels de ce secteur sur le dos des justiciables, sans plus-value à attendre dans de trop nombreux cas… Il est très regrettable, à cet égard, que l’on privilégie des modes de règlement comme la médiation ou la conciliation ou leurs avatars numériques, en ignorant complètement l’arbitrage, alors que c’est une formule, qui, à la différence des précédentes, comporte une dimension d’autorité –acceptée d’avance par les parties-, qui la rend beaucoup plus efficace : or, solution « de luxe », elle devrait et pourrait être « démocratisée », pour constituer un vrai mode de traitement « alternatif » ; c’eût été là une vraie modernisation et un vrai progrès pour les justiciables.

                Etendre la représentation obligatoire par avocat est une régression, qui va renchérir le coût des procédures pour les justiciables –venant, entre autres, s’ajouter à l’obligation déjà imposée aux couples voulant divorcer d’avoir chacun leur conseil, qui a multiplié le coût de la séparation, et, que ne compensera pas la suppression de la phase de conciliation ; sans préjudice, là aussi, des surenchères qui ne manqueront pas de s’exercer auprès de la ministre et des parlementaires pour aller encore plus loin…

                La dématérialisation des procédures d’injonction de payer et leur centralisation suppose, d’une part, une accessibilité à tous les justiciables –qui ne sont pas forcément des « geeks », comme on a l’air de le penser chez les législateurs en chambre !-, et, d’autre part, une parfaite fiabilité du système : l’expérience de l’informatique judicaire, avec ses piteux échecs, oblige, à cet égard, à la plus grande réserve !

                La même observation doit être faite pour la procédure écrite dématérialisée. Et, pour la saisine numérique du tribunal.

2°) La procédure pénale :

                La numérisation des procédures et constitutions de parties civile est, comme tout ce qui va dans le sens d’une justice dématérialisée dans ce programme, on ne le répètera jamais assez, subordonnée à la mise en place d’outils informatiques particulièrement adaptés et performants, tant du point de vue des logiciels que de celui des matériels : à l’aune des réalisations passées, on ne peut se déprendre d’un certain scepticisme !...

                L’extension de certaines mesures modernes d’enquête est, en elle-même, heureuse, mais, on peut craindre de très fortes résistances au sein du Parlement, avec la multiplication, comme on l’a trop souvent vu, de contraintes, restrictions et embûches de procédure, qui aboutiront plus ou moins largement à limiter l’intérêt pratique de cette extension –alors qu’on peut la juger encore trop timide.

                La création d’un tribunal criminel, dans son principe –idée reprise du projet du ministre Jacques Toubon-, ne doit pas être repoussée, mais, la réflexion sur ses modalités doit être approfondie ; en particulier, pour la cohérence et la lisibilité du système, on peut se demander s’il ne faudrait pas un tel tribunal en première instance pour toutes les affaires, le jury pouvant être réservé à l’appel. D’un autre côté, une réforme essentielle serait à faire en la matière : la création d’une procédure criminelle de flagrance, pour les faits où la culpabilité, dans son principe, ne peut faire de doute.

               La création d’un parquet national antiterroriste, en revanche, s’est perdue dans les sables du côté du Palais-Royal, pour d’obscures raisons (les critiques du Conseil d’Etat ne « tiennent pas la route » et sont sans rapport avec les vrais enjeux…) : on avait pourtant cru comprendre que c’était là un choix bien arrêté par la Présidence… Aussi, le terrorisme est-il le grand absent de ce programme : comme si l’on tablait sur son extinction dans les années à venir: le démenti des faits risque d’être cruel.

3°) Le droit des peines :

                Là, c’est, pratiquement, retour pur et simple à la philosophie de Mme Taubira, comme on l’avait bien vu venir ! On renverra à ce qui avait pu être écrit par l’APM en son temps, car, même si certaines modalités techniques diffèrent, la ligne est constante.

                A cet égard, l’abaissement de deux ans à un an du seuil d’aménagement des peines d’emprisonnement ab initio –dont on rappellera qu’il avait été aussi promis par Mme Taubira, qui, finalement, n’en avait rien fait-, ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt : le projet trahit la même obsession anti-carcérale (et, ce n’est pas pour rien que la promesse électorale de M. Macron de construire 15 000 places est repoussée : ce ne sera que 7 000…), les mêmes sophismes et le même irréalisme face à l’explosion de la délinquance, ou, à la psychologie des malfaiteurs comme à l’environnement social et économique (on peut, notamment, sourire, devant la volonté affichée de « développer le travail d’intérêt général » : il n’y a pas un garde des sceaux depuis Badinter qui n’ait tenu le même langage ! Comme si la population pénale n’était animée que du désir de travailler, et, les emplois, de génération spontanée et sans coût pour les potentiels employeurs !…).

                Il faut beaucoup d’humour –ou de cynisme-, pour oser dire que l’on veut plus d’effectivité des peines, et… systématiser, comme voulait le faire Mme Taubira, la libération aux 2/3 au plus de la peine restant à subir après réduction (c’est-à-dire, en pratique, bien moins que la peine prononcée…), jusqu’à 5 ans (ce qui, concerne, en fait la très grande majorité des détenus, et, sans préjudice d’éventuelles surenchères parlementaires, qui auront beau jeu de faire valoir que ce seuil est arbitraire…) ; certes le JAP pourra refuser cette libération automatique par décision spéciale, mais, l’expérience a suffisamment montré qu’il n’est pas simple de résister à une telle dynamique d’automaticité.

4°) L’organisation judiciaire :

                C’est le volet qui semble avoir concentré l’essentiel du débat public jusqu’ici, devant la mobilisation des avocats –qui y voient une atteinte à leurs intérêt économiques directs-, avec, à leurs remorque, des syndicats de magistrats complaisants, alors que, sans mésestimer son importance ni ignorer des inquiétudes légitimes, il doit faire l’objet d’une approche plus nuancée.

                Il est indiscutable que l’actuelle organisation judiciaire –et, notamment, dans la distinction entre « instance » et « grande instance », que cette curieuse terminologie même n’aide pas beaucoup !-, est peu lisible, et qu’elle aurait tout à gagner d’une unification de la première instance au niveau d’un seul et même tribunal (à cet égard, il n’y a pas que la question du tribunal d’instance qui se pose, mais, celle, aussi, des autres juridictions spécialisées, ignorée ici). C’est une problématique qui, en elle-même, n’est pas liée à celle de la carte de sites de justice -contrairement à ce que les Barreaux et leurs alliés syndiqués tentent de faire accroire : le Gouvernement affirme qu’il n’y aura pas de suppression de sites, ce qui, certes, est une promesse qui n’engage pas durablement l’avenir, à plus long terme, et, ne garantit pas pleinement contre tout risque de « dévitalisation » progressive pouvant déboucher, un jour, sur une suppression, mais, cela sécurise l’existant dans l’immédiat ; au demeurant, la carte judiciaire n’est pas intangible : elle a beaucoup bougé déjà depuis 1958, et, on ne peut prétendre figer définitivement la situation actuelle : toute institution doit savoir évoluer et s’adapter. En tout cas, prétendre qu’on sacrifie la « proximité » avec les justiciables est un sophisme : il existe déjà des liens étroits entre tribunal de grande instance et tribunal d’instance, et, leur rassemblement dans une même unité organique ne touche pas, en elle-même, les procédures et modes de fonctionnement selon la nature et l’enjeu financier du dossier, et, l’on n’est plus, de toute façon, à l’époque où la « proximité » s’évaluait en journées de marche ou au pas du cheval…

D’un autre côté, la répartition de certains contentieux entre tribunaux ou cours d’appel –dont la possibilité est élargie et facilitée-, est, déjà, une réalité, avec certains types d’affaires : si cela ne va pas dans le sens d’une meilleure lisibilité de l’organisation, c’est, en tout cas, moins le principe qui est discutable que les dérives qui pourraient être celles, le cas échéant, de certains responsables (aspiration massive de contentieux au profit d’une seule juridiction), mais, des garde-fous peuvent être posés dans le texte.

Bien d’autres débats, de plus de portée pour les justiciables, eussent mérités d’être ouverts, comme, par exemple, sur les recours en appel ou cassation : doivent-ils rester un droit plus ou moins absolu, au risque de l’engorgement de ces juridictions par des recours dilatoires ou qui appellent de leur part moins une réflexion sur la règle de droit qu’une simple police de la rédaction ?

5°) L’effort budgétaire :

Absorbé en grande partie par l’administration pénitentiaire : tant mieux pour elle !

Lu 2288 fois Dernière modification le mercredi, 25 avril 2018 15:07