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14 mai

SUR LE PROGRAMME A CINQ ANS DE M. DUPOND-MORETTI

Le projet de loi « d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 », récemment déposé, qui prétend fixer le cap jusqu’à la fin du quinquennat, derrière le paravent de la grande opération de communication qui avait été lancée sous le nom ronflant d’ « Etats généraux de la justice» -comme un contre-feu à la crise qui avait éclaté dans l’institution judiciaire, après avoir couvé de longue date-, appelle les premières et principales observations suivantes.

                UN AFFICHAGE FLATTEUR MAIS DES ENGAGEMENTS DE FACADE…

                               L’intitulé même est déjà trompeur : il s’agit, en effet, d’un texte « fourre-tout » qui, à côté de dispositions relevant effectivement, au moins en apparence, d’une « loi de programme » au sens constitutionnel du terme (encore que de manière très minimaliste dans l’engagement de l’Etat), comporte une collection de mesures de natures diverses et de portées très inégales, relevant de la loi ordinaire, qui donnent un peu le sentiment que l’on a « vidé les placards » de la Chancellerie pour profiter d’un véhicule législatif et, en même temps, faire monter le « soufflé » pour les besoins de la communication…

                               Ce n’est pas inconstitutionnel, nous assure-t-on au Palais-Royal ; pour autant, c’est de détestable méthode : le texte eût pu et dû être tronçonné en plusieurs projets, pour la clarté et loyauté du débat : les parlementaires, si prompts, en général, à dénoncer l’abaissement de leur institution, devraient, dans un sursaut de dignité et de lucidité, refuser d’y prêter la main...

                               Pour ce qui est du seul « programme », on recourt -et, certes, ce n’est pas la première fois, tant on a déjà pu abuser, à l’époque contemporaine, de cette facilité-, à l’artificieuse technique du « rapport annexé » : une ligne et demie suffira ainsi pour la validation parlementaire censée donner force de loi, jusqu’à la moindre virgule, à un document de quarante pages, dont nombre d’entre elles justifieraient, à elles seules, toute une discussion autonome pouvant déboucher sur une réécriture plus ou moins substantielle… C’est, clairement, un exercice formel -dont on a pu dire qu’il relevait d’un « droit non normatif » : un catalogue d’intentions, avec enflure verbale en prime, qui n’engage, concrètement à rien ou pas grand-chose… : c’est moins de la législation que de la communication.

                               Un semblant d’engagement financier est certes pris, en fixant une trajectoire pour le montant des crédits de paiement sur les cinq années à compter de la présente ; outre des volumes de créations nettes d’emplois (dont le calendrier et le détail, au demeurant, restent flous…) : 10 000 équivalents temps plein (chiffre magique dans le verbe ministériel, mais dont il faut, en réalité, enlever 605 déjà créés…), dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers pour ce qui est de la justice judiciaire proprement dite.

                               Cependant, ce qu’un Parlement a fait, il peut le défaire tout aussi facilement ! Les précédents ne manquent pas… : les contraintes budgétaires d’un Etat ployant sous la dette et soumis aux contraintes des marchés comme des autorités supranationales auxquelles il a fait le choix de se soumettre, comme la versatilité de décideurs politiques ballotant au gré de leurs intérêts et priorités du moment, pourraient toujours venir remettre en cause ces chatoyantes perspectives…

                               D’autant qu’elles ne pêchent pas par excès de réalisme.

                DES MOYENS MIRIFIQUES MAIS UNE CONCRETISATION ALEATOIRE…

                               A supposer même, en effet, que les objectifs budgétaires affichés (dont l’ampleur est indéniable mais qui, après des années d’insuffisance des dotations par rapport aux besoins, ne sont, somme toute, guère qu’un rattrapage, tardif et encore bien en dessous du souhaitable, comme du niveau de la dépense publique pour la justice dans bien des Etats européens… !), soient tenus, il est loin d’être garanti qu’ils pourraient produire les fruits annoncés -en tout cas, dans les délais prévus.

                               L’expérience a suffisamment montré que les contraintes, pratiques et juridiques, qui peuvent peser sur la mise en œuvre des programmes à la Justice sont lourdes et qu’il ne suffit pas de claironner ses ambitions avec les trompettes de Jéricho pour que s’abattent les murs de la réalité…

                               Combien de fois, à cet égard, a pu être dénoncée l’incapacité du ministère à dépenser les crédits qu’on lui avait alloués -en tout cas dans un délai raisonnable ?! Le Gouvernement ne semble d’ailleurs pas si assuré de son fait, puisqu’en matière immobilière, il prévoit une clause de « revoyure » en 2025… : il ne suffit pas de claquer des doigts pour que les bâtiments sortent de terre ! (il n’est que de constater le retard déjà pris sur le programme de construction d’établissements pénitentiaires, qui devait, selon M. Macron, être bouclé dès son premier quinquennat…).

                               Pas plus d’arroser le sol (même avec le produit des impôts, comme aurait dit Clemenceau) pour que les personnels poussent comme des champignons après la pluie… : c’est là une sérieuse hypothèque sur la réalisation du programme, compte tenu des délais d’organisation des recrutements et de formation des agents -et, au premier chef des magistrats.

                               Pour ces derniers, en effet, à supposer tenue la création de 1 500 postes en cinq ans, encore faudra-t-il les pourvoir… Conscient de l’impossibilité de le faire dans le cadre actuel, le ministre a déposé un projet de loi organique [commenté par ailleurs] pour faire exploser ce cadre, en bradant littéralement la fonction de magistrat (si c’est encore le terme approprié, puisqu’une publicité officielle récente invite les candidats potentiels à « devenir magistrate » : sic ! comme si la fonction devait être genrée et comme si, accessoirement, elle n’attirait pas déjà, très majoritairement, les candidatures féminines, comme en témoignent les promotions de l’E.N.M. depuis de nombreuses années… -au point que l’égalité des hommes et des femmes dont on fait grand cas finira peut-être par imposer… des quotas d’hommes !). On ne manquera pas de souligner, au passage, qu’en regard de cette grande braderie, l’ancien avocat prévoit d’élever le niveau de diplôme exigé pour accéder au Barreau (master)…

                               Pour l’administration pénitentiaire, on veut pallier la désaffection pour la fonction par des expédients ; outre le recours à la « réserve » (faut-il vraiment s’attendre à ce que des foules de nostalgiques se précipitent, à la retraite, pour retourner en prison ? ...), le recrutement de surveillants « au rabais », des « adjoints », forcément moins bien rémunérés et au statut plus précaire : il n’est pas dit que le pari soit gagnant…

                               Quant à l’informatique, de fiascos en fiascos, dans l’histoire de cette « boîte à chagrin » dont parlait un prédécesseur de l’actuel occupant de la Chancellerie, l’expérience oblige à constater qu’il ne suffit pas de déverser l’argent pour avoir des matériels et des logiciels opérationnels (et, en outre, de les avoir simplement à temps quand les textes changent…).

                               Mais les moyens eux-mêmes ne sont pas le tout d’une politique.

                DES MOYENS SUPPLEMENTAIRES MAIS UNE ERRANCE PRIORITAIRE…

                               Ce n’est pas tout d’avoir des budgets en hausse -à supposer les promesses tenues : encore faut-il savoir, dans un contexte qui sera toujours nécessairement de pénurie relative, eu égard au retard accumulé et à l’ampleur du besoin, hiérarchiser les priorités. Or, ce programme qui se disperse un peu « tous azimuts », comporte deux lacunes majeures, qui eussent dû, pourtant, figurer en tête des orientations :

                               1°) L’absence d’une réflexion radicale sur le périmètre de l’intervention judiciaire et sur les modes de prise en charge des contentieux.

                               Loin d’« une réforme en profondeur des champs de la justice », comme, dans sa boursoufflure sémantique, le prétend l’exposé des motifs, le texte se borne à de minimes rectifications de frontière, à l’intérieur de l’institution -ce qui n’est qu’une forme de virement interne et ne change rien, globalement-, voire au profit de l’extérieur -mais, dans une mesure qui reste très modeste.

-          De simples virements internes :

                                               Ainsi, des « tribunaux des activités économiques », qui reprendront à titre seulement expérimental et dans quelques ressorts (et, à titre payant pour les justiciables, avec la « contribution » instaurée…), certaines compétences des tribunaux judiciaires ; mais, greffés sur les actuels tribunaux de commerce, ils devront comprendre en plus des magistrats issus de ces mêmes tribunaux judiciaires…

                                               Ainsi, du transfert des attributions non pénales du juge des libertés et de la détention à un autre juge du tribunal… Comme celui du tribunal correctionnel au même J.L.D. en matière de contrôle judiciaire… A ce sujet, on invoque la « désaffection » pour la fonction : l’A.P.M. avait dénoncé, dès sa création, ce rôle de juge « presse-bouton », d’ « O.S. » de la chaîne pénale, à qui on demande de prendre des décisions lourdes, le plus souvent dans l’urgence et alors qu’il n’est pas investi dans le dossier, comme peut l’être, par exemple, le juge d’instruction (erreur majeure, sous Mme Guigou, d’avoir dissocié pouvoirs sur la personne et pouvoirs sur le dossier) : ce même rôle ingrat, notamment en matière d’étrangers, suscitera-il plus d’engouement (sauf motivation idéologique, ce qui ne serait, évidemment, pas souhaitable du tout…) ?

                                               Ainsi, de la suppression des juridictions de la tarification sanitaire et sociale, dont le très modeste contentieux est transféré aux juridictions administratives (dont des membres siégeaient déjà dans les premières…).

-          Une seule externalisation :

                                              Celle en matière de saisie des rémunérations au profit des commissaires de justice, d’un impact limité sur la charge globale des tribunaux, d’autant que les contestations -qu’on peut craindre plus nombreuses-, seront soumises au juge de l’exécution…

                               Alors que, sans remise en cause d’envergure de la place et de la mission du juge, devenu, au fil du temps, une espèce de « voiture-balai » de tous les dysfonctionnements dans la société traduisant la difficulté à en accepter les règles du jeu, la course-poursuite permanente entre les besoins et les moyens risque d’être toujours perdue d’avance…

                               Et alors que les modes de traitement des litiges traditionnels sont de plus en plus inadaptés : ce n’est pas, à cet égard, comme il va être dit, le recours illusoire au règlement amiable, pour le civil, ou, la réécriture, supposée à droit constant, de la procédure pénale, comme on le verra, qui peuvent constituer des réponses adéquates, quantitativement et qualitativement !

                               2°) L’absence d’une remise en cause de la politique pénale.

                               Il y a sans conteste un très profond divorce entre, d’une part, le sentiment très largement majoritaire de nos concitoyens en faveur d’une répression ferme de la délinquance, et, d’autre part, l’idéologie dominante chez les responsables des affaires publiques, inspirée par des conceptions désuètes et hors sol qui, au fil des réformes, ont peu à peu, dévitalisé les principales défenses de la société contre ceux qui en refusent les règles, en ruinant le sens de la peine (nota. béance majeure entre peine encourue et peine prononcée, peine prononcée et peine effectivement exécutée…).

                               Or, non seulement, il n’est annoncé ici aucune inflexion -et, encore moins, la rupture franche qui s’imposerait !-, mais, on persiste dans la même erreur et on veut même aggraver la situation, en augmentant les possibilités d’évitement de la prison -qui est et reste, tant dans l’esprit public que dans la psychologie même des délinquants, la peine de référence, celle qui est la plus crédible et efficace pour, non seulement protéger les personnes et les biens en mettant à l’écart une puissance de nuire, mais, d’abord, pour évaluer la gravité d’un acte, ce qui est bien la première et essentielle fonction de la sanction pénale.

                               Certes, un plan de construction d’établissements pénitentiaires est affiché, mais, en dépit de son ampleur, après ceux qui l’ont déjà précédé, il restera de toute évidence encore en dessous des besoins : la France, à cet égard, est dans la moyenne européenne de la propension judiciaire à l’incarcération -et toutes les incantations ministérielles et toutes les tentatives de casser, très artificiellement, la tendance, n’y ont jamais rien changé… Il fallait donc un effort encore plus important.

                                L’annonce d’une réécriture du code de procédure pénale apparaît donc d’autant plus singulièrement dérisoire.

                UNE PROCEDURE PENALE REECRITE MAIS NON REFORMEE…

                               La rédaction en zigzags de l’exposé des motifs -illustration caricaturale de l’ « en même temps »-, en dit long à cet égard : la réécriture est censée être « à droit constant », ce qui implique un exercice formel qui ne touche pas au fond ; on annonce qu’elle « procède d’une refonte » et non pas d’une « réforme », tout en ouvrant la porte à des « modifications nécessaires » et, surtout, en ajoutant tout un catalogue de dispositions nouvelles…

                               L’objectif, louable en soi, vanté par la communication ministérielle, serait de « simplifier » un code devenu « illisible ».

                               Il est de fait que, formellement, ce document, remanié d’innombrables fois, eu égard à la particulière instabilité de la matière à l’époque contemporaine, au fil des dérives d’une législation sous l’emprise de l’idéologie, de l’activisme des lobbies (Barreau en tête…), des juridictions supérieures internes et internationales, ou des soucis de posture de réformateurs en chambre, voire, simplement, de la tyrannie du fait divers, est devenu très touffu et complexe. C’est, au demeurant, le cas de bien d’autres codes, témoignant de la dégradation de la qualité de la loi dans notre pays… Pour autant, cela n’empêche pas les praticiens d’en faire usage en permanence…

                               Le paradoxe, c’est que l’intention est affichée ici par un ministre qui a fait voter des textes qui ont contribué à aggraver cette situation ! (notamment, en imposant des délais aux enquêtes dont on ne cesse, depuis, de mesurer les effets pervers, ou, en surprotégeant ses confrères avocats…). On n’est pas plus cynique.

                               En fait de « simplification », cette « refonte » ne pourra, par elle-même, déjà, qu’apporter de la complication : le bouleversement des références et de la disposition des règles, supposera un temps plus ou moins long d’adaptation. Et, au premier chef, elle impliquera de revoir de fond en comble toutes les trames informatiques : comme cela s’est déjà vu, il est à craindre que l’entrée en vigueur précède ce travail, avec tout ce que cela peut entraîner de retards, erreurs ou confusion…

                               Mais, en dépit des promesses et annonces, faites tant à la Justice qu’à l’Intérieur, cette réécriture sera une grande occasion manquée : celle de revoir, non la seule forme, mais le fond d’une procédure que l’on a, de plus en plus, à la fois dénaturée et déséquilibrée, sous prétexte, en particulier, de droits de la défense (comme si la frontière entre le travail policier préalable et l’instance en justice devait s’estomper, sinon disparaître…) et, ankylosée, presque jusqu’à la paralysie, avec le poids du formalisme et des tâches bureaucratiques, au détriment de l’efficacité et du vrai travail de terrain.

                               Ce sont de nombreuses règles, ajoutées au fil des réformes, sans réelle plus-value pour les parties privées mais constituant autant d’entraves à ce qui est quand même la finalité de la procédure pénale, permettre l’identification, l’arrestation et la condamnation des auteurs d’infractions (et la réparation due aux victimes), qu’il fallait revoir à cette occasion, en repensant l’ensemble du processus.

                               Or, non seulement, on garde l’essentiel de l’existant mais on y ajoute de nouvelles complications (à côté de quelques dispositions bienvenues : perquisitions de nuit, activation à distance de dispositifs de géolocalisation et captation d’images ou de son, recours à la télécommunication en garde à vue, possibilité de bracelet électronique en cas de détention provisoire annulée pour irrégularité… -et même si la rédaction en est par trop empruntée, comme témoignant d’une réticence intime-, ou, mesures favorables à l’indemnisation des victimes) et un peu plus encore de confusion et de brouillage des concepts (ainsi, du statut de témoin assisté qui se rapproche de plus en plus de celui du mis en examen : c’est tendre la perche à l’amendement qui ne manquera pas de venir un jour ou l’autre, avec la bénédiction du Gouvernement, pour supprimer cette dernière expression, qu’on dénoncera comme encore trop entachée de suspicion…).

                               Et, comme de bien entendu, on retrouve l’obsession anticarcérale avec la volonté de promouvoir le travail d’intérêt général et le bracelet électronique : comme si l’expérience n’avait pas toujours montré, depuis 1970 et la création du contrôle judiciaire, que les mesures qui se veulent « alternatives à l’emprisonnement », ne venaient pas, pour l’essentiel, s’ajouter à ce dernier, bien plus que s’y substituer, en touchant des personnes qui, sinon, fussent restées en liberté pure et simple… Si, en elles-mêmes, ces mesures ont leur place et leur utilité dans la gamme des moyens dont dispose le juge, c’est un leurre de les mettre ainsi, par idéologie, en balance avec l’incarcération.

                Mais la poudre aux yeux n’est pas, dans ce programme, le monopole du pénal.

               

                UNE « POLITIQUE DE L’AMIABLE » MAIS D’AIMABLES ILLUSIONS…

                               L’ambition réformatrice, ici, se borne, pour l’essentiel, au-delà de mesures techniques diverses qui n’auront qu’un impact limité, à compter sur le règlement amiable et les modes de traitement dits « alternatifs » des différends ; avec à côté des classiques médiation et conciliation, une « césure » du procès civil (le juge statue sur le principe et laisse les parties en tirer les conséquences entre elles) et une « audience de règlement amiable », à la québécoise (le juge réunit les parties pour trouver un accord, auquel il donne force exécutoire).

                               Il s’agit là, en somme, d’une externalisation, au moins partielle, du procès : sous couleur de « participation », on demande en fait à la justice de se défausser, pour laisser les parties conclure leur affaire…

                               Comme le rapport annexé le souligne, cela suppose un « changement de culture » ; ce qui ne se décrète pas ! Il est douteux que le ministre, malgré son éloquence d’ancien avocat, parvienne à convaincre la plupart de ses confrères à cet égard… Et c’est aussi la « culture » des justiciables qu’il faudrait, dans cette optique, transformer radicalement : vaste programme !

                               Ce que persistent à ignorer les réformateurs en chambre qui ne jurent que par l’amiable, c’est que, quand un contentieux est suffisamment cristallisé pour aboutir à une saisine de la justice, il se trouvera le plus souvent au moins une partie, campée, de bonne ou mauvaise foi, sur sa position, pour refuser de composer ; et, de plus, si tout le monde se plaint de la lenteur de la justice, il y a souvent, au moins une partie qui y trouve son intérêt… (outre que les avocats ont leurs contraintes propres et leur charge de travail à gérer…).Et, s’il existe des plaideurs rationnels, capables, avec leurs conseils, d’un calcul suffisamment froid, il en est aussi beaucoup qu’une dimension narcissique et passionnelle de leur affaire rendra toujours hermétiques à ce genre de démarches à la « embrassons-nous, Folleville »...

                               Si, aux U.S.A., par exemple, la culture de la négociation est plus développée, c’est, non seulement parce que chaque pays a son histoire et son identité -et que celles des autres ne sont pas les nôtres-, mais aussi parce que la justice peut trop souvent s’y apparenter à une loterie, avec, entre autres, l’intervention d’un jury et le système des dommages et intérêts punitifs -en sorte qu’un mauvais arrangement peut être préféré à un bon procès, pour une meilleure maîtrise de l’aléa…

                              Aussi, même si les mesures en question peuvent venir, le cas échéant, compléter utilement la « panoplie » contentieuse, il est illusoire d’en attendre un effet massif : faire croire, comme ose l’écrire le rapport annexé que, couplé avec les autres mesures envisagées pour les tribunaux, cela va permettre de diminuer les délais de jugement par deux est une plaisanterie !

                               D’autant que la réorganisation du travail dans les juridictions trouvera ses limites.

                UNE EQUIPE JUDICIAIRE MAIS UNE JUSTICE SOUS-EQUIPEE

                                La constitution d’une équipe de travail autour du magistrat, avec le recrutement d’attachés de justice et d’assistants spécialisés va dans le bon sens (l’A.P.M., longtemps bien seule, le réclamait depuis les années 1980…).

                               On peut, malheureusement, s’interroger sur les conditions dans lesquelles cette orientation pourra être mise en œuvre.

                               D’abord, d’un simple point de vue pratique : les conditions matérielles de travail sont, déjà, souvent difficiles dans des locaux trop exigus et mal adaptés : comment va-t-on gérer l’afflux de tous ces personnels, si ces recrutements massifs se concrétisent (magistrats, greffiers et autres), en particulier, en termes d’accueil dans les bureaux et de dotation de matériels ?

                               Du point de vue fonctionnel et institutionnel, cette assistance du magistrat devra trouver sa place, tant auprès de lui (à qui cette assistance sera accordée et sous quelle forme ?) que par rapport aux autres acteurs de la procédure.

                               Du point de vue statutaire, ce sont des modalités de recrutement, de formation et de déroulement de carrière qui restent à définir.

                               Le risque est que cette innovation soit génératrice de tensions et de confusion, dans une organisation déjà complexe, du fait de la dyarchie siège-parquet et des pouvoirs du chef du greffe…

                               En tout état de cause, ces nouveaux agents devront être en nombre suffisant, si l’on veut une véritable transformation du métier du magistrat et une affirmation d’une authentique position d’animateur d’équipe : on est en droit d’être sceptique à cet égard…

               

                UN TEXTE DEPOSE MAIS DES DERIVES REDOUTEES…

                La justice est un sujet clivant par excellence, qui peut vite déchaîner les passions.

                Les débats parlementaires à son sujet donnent lieu, en général à toutes sortes de surenchères, avec des concours de postures où partis pris idéologiques et méconnaissance des réalités du terrain font chorus, au détriment des vrais intérêts de l’institution et des attentes prioritaires des Français.

                Tout donne à penser que la présente loi ne fera pas exception -d’autant qu’elle est présentée par un personnage dont la personnalité n’a rien pour favoriser la sérénité de la discussion…

                On peut donc redouter, comme pour le texte jumeau de réforme statutaire de la magistrature, toutes sortes de dérives fâcheuses.

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